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Les politiques de lutte contre la drogue

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Les politiques de lutte contre la drogue Empty Les politiques de lutte contre la drogue

Message  olivK Ven 11 Jan - 11:03

Je vous colle ici un compte rendu que j'avais fait l'année dernière d'une conférence sur l’évolution des politiques en direction des usagers de drogue.

Extraits du texte ‘’Une histoire d’accompagnement’’
présenté le 26 septembre 2012 à l’occasion des ‘’40 ans’’ de ALT
par Jean-Pierre COUTERON, président de la Fédération Addictions


« Les institutions du champ médico-social sont nées avec la loi de 1970. Votée en réponse à une première mort par over dose, en 1969, elle voulait aussi apaiser l’inquiétude qui succéda à mai 68, celle de voir une jeunesse emportée par les drogues et leur contre–culture, en traçant une frontière pour séparer le bien et le mal.

Acte éminemment politique, mais qui oubliait ce que le pharmakon enseigne, l’ubiquité des substances, un même produit pouvant être soulagement ou souffrance. Pour construire cette frontière qu’elle rêve étanche, la loi va pénaliser l’usage privé.

Elle fait ainsi de l’usager un délinquant, par principe, par simple fait d’usage,
même sans excès ni abus, sans mettre en danger la vie d’autrui… Parallèlement, elle va lui offrir un refuge, une alternative, en lui proposant un deuxième statut, celui de malade : si l’on vient volontairement dans ces centres d’accueil qui se créent, on y sera reçu, au nom de la loi, gratuitement et anonymement.

Enfin, cette loi signe le début de l’exploitation médiaticopolitique de « La Drogue », donnant au « toxico » sa troisième identité qu’évoque Thomas Szasz1, celle du bouc émissaire visé par des mesures répressives destinées à rassurer l'opinion publique sur la défense de l'ordre moral, social ou de l'autorité.

Avec la loi de 70, les professionnels avaient obtenu volontariat, anonymat et
gratuité des soins auxquels s’ajoutait l’injonction thérapeutique, cette alternative
à l’incarcération. Les premières années furent celles de la naissance d’une clinique et d’un dispositif d’accueil. Cela a été le cas de ALT avec l’ouverture d’un premier centre d’accueil quai des pêcheurs à Strasbourg. Sont également créées les centres de postcure aujourd’hui appelés Centre thérapeutique résidentiel qui sont encore amenés à évoluer.

En 1976, le rapport Pelletier pointe des « pratiques inadéquates », une « législation impropre », des « principes contradictoires », soulignant que la sévérité de la loi n'est pas justifiée et qu’il «regrette que la voie judiciaire reste de loin la plus empruntée». Dans les années 80, dans toutes les cités européennes, les premières scènes ouvertes apparaissent, marquant le passage des toxicomanies des 30 glorieuses, du plein emploi, de la contre-culture aux addictions, à la crise économique, au chômage. L’usage et le trafic s’étendent, la petite délinquance liée au mode de vie toxicomane explose. Dans le même temps, les interpellations pour Infraction à la Législation sur les Stupéfiant (ILS)
Décuplent : 10 000 en 1979, 20 000 en 1982, 30 000 en 1986, année où Jacques
Chirac, Premier Ministre, s’insurge « contre l’injonction thérapeutique qui aboutit finalement à une absence de traitement et à une absence de sanction ».

Albin Chalandon, son Ministre de la Justice, dénonce ces psychiatres jugés laxistes et veut des traitements obligatoires, et non plus « volontaires » comme dans les « post cures » qui se sont créées. Pour désintoxiquer de force, il annonce 1600 places en centres pénitentiaires et 2000 pour Le Patriarche. Face au tollé, ces projets seront abandonnés, mais sans modifier la logique de base.

L’épidémie du Sida va bousculer une première fois cette situation.

L’alerte vient des USA, où homosexuels, héroïnomanes, hémophiles ou Haïtiens sont touchés. Puis la maladie apparaît en France en 1982, le virus est isolé en 1983. En 1985- 86, des études en milieu carcéral révèlent des taux de prévalence impressionnants, accentuant la peur d’une maladie transmissible et incurable. Une nouvelle peur s’impose : celle de la peste, du fléau des grandes épidémies.

Une politique de santé va être construite, celle du rapport Got en 88, qui va rester distincte de celle qui continue de répondre aux toxicomanies dans le respect du dogme de la loi de 70. Elle est portée par la militance des usagers, Aides, Act Up, Asud qui naissent et prennent la parole, peu à peu.

Et ce sont des acteurs venant d’un troisième champ qui vont confronter ces deux politiques, ceux de Médecins du Monde. Ils pratiquent une médecine humanitaire, à l’étranger. Or avec la crise, un public exclu du soin apparaît en France, poussant l’association à s’en occuper, avec ses savoirs faire techniques, sa capacité à expérimenter. Les médecins de la mission France vont rencontrer ces toxicos de la rue, ils vont chercher à en prendre soin, sans tout de suite vouloir soigner leur dépendance. Cette nouvelle approche « au nom de la Santé » va se jouer sur trois mesures : l’accès aux seringues ; d’aller vers les usagers et la mise à disposition des traitements de substitution. Elles viendront changer les réponses en y introduisant l’approche de la Réduction des Risques, dite RDR, qui consiste à dire qu’il faut d’abord réduire les risques des usages, avant de proposer de changer le comportement d’usage. Prendre soin avant de soigner : elle vont commencer à ouvrir un espace intermédiaire, hors bien et mal…

La libéralisation de l’accès aux seringues

Le libre accès aux seringues est l’enjeu des années 86-87. Libéraliser la vente est associé à faciliter l’usage, à affaiblir la lutte contre la drogue. Certains cliniciens y voient une mesure inadaptée à un « tox » trop suicidaire pour changer. La réalité est autre : la prohibition a organisé la rareté, obligeant à une réutilisation et un partage qui accéléreront la diffusion des virus et bactéries, fournir des seringues permet d’y répondre.
L’association AIDES lance en décembre 1985 la première campagne de prévention : « Une seringue, ça ne s’échange pas ! ». 1989 : les usagers de drogues montent leur première association de réduction des risques : ASUD.

En 87, un décret lève l’interdit, son évaluation un an plus tard est sans ambiguïté : le libre accès ne produit aucune augmentation de l'usage par voie intraveineuse, il favorise le non partage et la prise de conscience par les usagers de la dangerosité et de la gravité de leur situation.
En 1989, les usagers de drogues montent leur première association de réduction des risques : ASUD.


Aller au contact des usagers exclus
L’évaluation a aussi montré que pour près d’un quart des usagers concernés par cette rencontre avec les équipes de RD constitue un premier contact. Ils ne fréquentent ni le système de soin spécialisé et ni celui de droit commun. La logique de la loi de 70 est encore en cause : bien sûr, le soin est resté un choix, une décision volontaire. Mais insidieusement, la seule demande envisageable car la seule autorisée sur l’usage, est devenue celle du sevrage conduisant à l’abstinence, côtoyant une demande pensée sur le modèle de la psychothérapie, du libre engagement du sujet, qui elle, se détache de l’usage.

Ces deux demandes sont au demeurant légitimes, mais trop spécifiques ! Là encore, c’est « au nom du sida », que vont se diversifier des rencontres autour du prendre soin. En 92, la Division Sida invite à étendre les programmes d’échange de seringues pour « aller vers » ceux qui continuent de faire usage et le bureau des toxicomanies suit en encourageant à « à aller au devant des usagers marginalisés » par la création de lieux d’accueil, sans condition de demande de soin et centrés sur les besoins élémentaires !


L’arrivée des traitements de substitution (1973-1996)
L'introduction des traitements de substitution touche le cœur de la loi de 70 : la substance qui est par essence un poison. Cela avait conduit au rejet du traitement médicamenteux, et pour les plus extrémistes, au sevrage sec ou avec tisanes. Et voilà que sont proposés des médicaments opiacés par des médecins redevenus prescripteurs! Avant la substitution, les usagers en manque ou qui voulaient arrêter sans « se sevrer », utilisaient des médicaments hors usage officiel. Ceux à base de codéine, pour traiter la toux, disponibles sans prescription médicale, dont le Néocodion®, 12 millions de boîtes vendues en 1994 utilisées à 80 % en auto-substitution. Puis ceux destinés à lutter contre la douleur, contenant de l’opium, donc inscrits au tableau des stupéfiants et nécessitant une prescription sur carnet à souche. Là-encore, l’urgence sida va faire sauter le blocage. En 92,
Aides et Médecins du Monde, présents à la 8ème conférence du SIDA réalisent le retard pris face à une maladie « plus dangereuse que la drogue ». L’intérêt de la substitution étant d’éviter l’injection et ses risques, ces acteurs et d’autres publient une tribune, « Limiter la casse », appelant à faire de la RDR la priorité d’action dans le champ des drogues. Tout ira ensuite (relativement) vite : la méthadone, jusque là prescrite confidentiellement est étendue à tous les centres spécialisés, en 94, une circulaire définit la notion de traitement de maintenance,
faisant de l’arrêt du produit un objectif relatif. Entre 93 et 96, la Direction Générale de la Santé entérine la prescription d’un médicament de substitution, le SUBUTEX, adapté à la médecine de ville. Il ne s’agit plus d’éviter le risque SIDA, mais bien d’appréhender autrement les usages.
L’intensité de ces combats, y compris entre professionnels du secteur, leur durée de 80 à 95, confirment que l’équilibre entre malade et délinquant avait penché vers le contrôle et la sanction. Là est sans doute le défaut originel du système français que les premiers acteurs de la réduction des risques vont rencontrer. En février 1995, la commission Henrion rend le même diagnostic que la commission Pelletier, « la politique de lutte contre la toxicomanie, fondée sur l'idée qu’il ne faut rien faire pour faciliter la vie des toxicomanes, a provoqué des catastrophes sanitaires et sociales ». En 1999, les résultats sont évidents, chute de 80 % des overdoses mortelles, taux de nouvelles contaminations des usagers passant de 30% au début des années 1990 à 4% en 2001, baisse de 67% des interpellations des usagers d’héroïne. Le dispositif de réduction des risques y gagne un statut, les conceptions et pratiques du soin sont changées, mais pas les
croyances en la « lutte contre la drogue ».
…….. »

Juste pour info : il y a à Strasbourg un projet d'ouvrir une "salle de shoot", ce qui serait une première en France.

olivK

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Date d'inscription : 16/06/2012

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